Blanc (II)
« Vous êtes sur Terre c’est sans remède »
Samuel Becket
– et même la chloroquine n’y pourra rien.
*
La Peur est devenue plus simple ;
c’est une flèche qui atteint sa cible à chaque fois.
*
Ce soir
il a neigé -pour de vrai- dans la colline.
Une couche blanche, poudreuse,
s’est étendue
parmi les arbres
en silence.
Et puis elle est restée là
sans bouger,
comme un animal
malade.
J’ai fait quelques pas dehors
juste pour l’entendre couiner sous la semelle,
pour être sur
qu’elle était bien réelle.
La cohérence s’est encore approfondit
– un peu plus.
*
Nous sommes quatre milliards de confinés depuis aujourd’hui…
L ’intensité d’une crise d’angoisse pourrait-elle devenir une simple donnée dans un système
comptable ?
*
« Enfin ils ont commencé à tout est bien rangé…! » se dirait Dieu
– si il existait
en se penchant du Ciel
sur la Terre
en ce début du mois
d’avril 2020.
*
J’ai essoré la journée dans tous les sens.
Les plis sont minces.
*
A la fin du confinement
– un jour
nous verrons probablement
des hordes de gens blancs et hagards
sans direction précise
respectant les distances de sécurité entre chaque corps
comme des êtres sortant des sous-sols
fuyant les rayons du soleil
un papier d’autorisation à la main
– deuxième temps de la maladie.
*
Je relis Syllogisme de l’amertume d’Emil Cioran.
Encore.
C’est de circonstance.
Je n’ai jamais réussi à vraiment comprendre
si l’Indifférence face à la vie
qu’il revendique
sans cesse
était une réelle conviction – sincère
ou s’il jouait les dandy du Désastre pour conjurer sa peur de mourir
comme tout le monde.
Cela dit, peu importe.
Les deux sont de circonstance.
*
Aux pourtours de son corps cellulaire
se forme une frange de projections bulbeuses
dessinant une silhouette
granuleuse et régulière
qui n’est pas sans rappeler
l’élan baroque
de la couronne solaire.
La mort aussi sait se doter de fards.
*
J’habite au milieu d’une forêt
je fais des ronds invisibles
autour de la maison
j’erre inquiet parmi les arbres :
il y a des formes dégénérés de claustrophobie
qui ne lâche rien
– même à l’air libre
et j’ai franchement honte
de cette angoisse
ici
loin du concret de quatre murs.
*
La nuit je trébuche sur des trous je les regarde les yeux grands ouverts
pendant des heures.
*
Des alignement de cercueils
des rayons vides de papier toilette
les chiffres « décès-Covid19 » heure par heure, territoire par territoire
des personnalités du Show-biz infectées
des émeutes dans un quartiers populaire
– heureusement que les médias sont là pour nous raconter ce qui se passe
à l’extérieur !
*
Le printemps est revenu.
J’ai ramassé les feuilles mortes en face de la maison.
Toutes ces choses inutiles que je fais
résonnent en moi
en d’interminables échos.
*
Quand je pense à l’Avenir
je n’arrive pas à me détacher de l’image
d’un tas de croquettes pour chien baignant dans une huile maronnasse où flottent quelques morceaux
de crevettes à demi-éventrés souillés de vermines et de limaces…
– j’attends avec impatience les interprétations de ma psy.
*
La Vie serait-elle une accumulation de « tutos » ?
*
Au XXème siècle, on a souvent entendu dire que le fascisme était la conséquence d’une société malade…
Au XXIème siècle, on pourra dire qu’une société malade c’est aussi le fascisme.
*
Après une matinée de déprim
molle et presque confortable
arrive subitement
vers midi
une euphorie intense
et sans motif
L’après midi commence
par une joie inattendue
puis apparaissent des petites tâches d’angoisses
qui viennent et repartent
irrégulières
jusqu’à se confondre avec la présence
noire et lascive
de l’effroi
tranchée nette par la fulgurance
d’une idée lumineuse aux environs de 17 heures
qui se perdra elle-même
quelques dizaines de minutes plus tard
dans le marasme d’un désespoir
tiède et pâteux qui collera
toute la fin de soirée…
La stabilité obstinée
des jours qui se répètent
est inversement
proportionnelle à la poussée exponentielle
du chaos des émotions.
C’est fatigant.
*
On emballe des cadavres
encore chauds
dans de grands sacs plastiques hermétiques
qui sont incinérés dans des fours
à 850 °C
– la famille et les proches assistent à la cérémonie
par visioconférence.
Les cendres peuvent être récupérées 15 jours plus tard.
Parmi le nombre des Rituels Mortuaires
que l’humanité a pu inventé
celui-ci est sans précédent :
la société industrielle s’est radicalisée dans sa Mystique du produit en série.
*
Heureusement il y a l’alcool pour anesthésier les fins de journée.
Mais curieusement, je ne sens plus mes cuites.
L’anesthésie est peut-être plus profonde que je pensais.
*
Note pour plus tard :
relire Lettres de prison de Rosa Luxembourg.
*
Il n’est pas étonnant que le coronavirus
– mot pour mot : « le virus à couronne »
fasse une entrée si triomphale
dans une société si prompt
à l’hypocondrie.
*
Le Virus n’a fait que révéler
les sous-couches des strates sédimentées de nos corps avachis.
L’ appétit des rues est
– encore
ajourné.
*
Depuis que ça
a commencé,
j’ai l’impression d’écrire
sans aucune trace d’affect.
J’écris
depuis la vie nue
j’aligne des mots comme
des additions
sur une calculette
– les résultats sont mécaniques.
Impossible de ne pas regarder par cette fenêtre du monde, mal orientée, que sont les médias,de ne pas être percuté par ces images d’ailleurs,là où c’est pire, (où ça l’est déjà depuis longtemps), honte de cette angoisse qui nous rends objets d’une peur destinée à nous faire obéir . Régression, fatigue face au chaos des émotions contradictoires ressenties au long d’une journée .Je trouve tout ça dans ton texte . C’est la bagarre des forces de vie contre les forces de mort, en écrire nous rend sujets .